Ce texte est inspiré de la présentation de Dominique Lestel, philosophe et ethologue à l’Ecole Normale Supérieure de Paris lors des Rencontres Intelligence Collectives 2006 à Nîmes.
" Un animal qui n’aurait aucune intelligence pourrait-il être bête ? " La réponse à cette question posée par Dominique Lestel dépend de la définition que l’on donne à la bêtise. Il propose de considérer que la bêtise n’est pas l’absence d’intelligence mais une attitude qui consiste à agir en deçà de son intelligence. Ce choix de définition ouvre de nouvelles perspectives car la bêtise devient une stratégie extrêmement intéressante dans plusieurs cas de figure, par exemple :
Mais surtout, la bêtise pourrait devenir une réponse particulièrement adaptée dans certains cas de figure. Lorsque anticiper la meilleure réponse n’est plus possible, alors une stratégie consiste à multiplier les réponses et ne choisir qu’a posteriori. Dans ce cas, il est nécessaire de ne pas sélectionner " a priori " la réponse qui nous semble la plus intelligente, mais plutôt d’accepter de tester d’autres réponses qui nous semblent plus " bêtes ".
Il existe plusieurs stratégies adaptées chacune à des circonstances différentes :
Il serait possible d’y ajouter une troisième stratégie lorsque l’environnement est à la fois rare et imprévisible. Dans ce cas, on peut s’en remettre à un mécanisme automatique qui permet de fixer le choix " a chaque instant ". C’est le cas de l’équilibre de l’offre et de la demande en économie (dans ce cas, même si l’environnement n’est ni abondant ni prévisible on peut chercher à anticiper au mieux et à saisir les opportunités même non prévues).
Un exemple de l’efficacité de tenter de multiples choses : Le fils d’une amie, âgé à l’époque de 13 ans, m’a demandé de lui " montrer internet ". Plutôt qu’un cours ou des explications doctes, je l’ai installé devant le clavier d’un ordinateur, connecté à l’Internet, mis sur un moteur de recherche… et laissé se débrouiller. Il s’est alors fixé un objectif (trouver des informations sur des jeux). Très rapidement, il a essayé un grand nombre de possibilités, tentant certaines pistes apparemment extrêmement " bêtes ". Il a ensuite " élagué " les solutions qui ne fonctionnaient pas. Il a pu, en un temps extrêmement court, atteindre son objectif sans aucune aide (cité dans Internet Tome 2, services et usages de demain page 74).
Si le monde est essentiellement prévisible, alors la capacité à anticiper et à faire les meilleurs choix " a priori " (ce qui pourrait être une des définitions de l’intelligence) donne un avantage certain pour s’adapter à cet environnement. Mais dans un monde complexe et imprévisible, maximiser l’intelligence ne suffit pas. La capacité à imaginer le plus grand nombre de solutions possibles, y compris celles qui nous semblent " a priori " bêtes, peut offrir un avantage concurrentiel décisif. On assiste de nos jours à une prolifération des petits singes et une diminution des grands singes pourtant supérieurs en capacité d’intelligence. Les petits singes ont-ils un avantage adaptatif au sens de Darwin sur les grands singes ?
Il existe plusieurs cas de figure où nous proposons des réponses en dessous de notre intelligence :
Finalement, la bêtise pourrait être vue comme " l’épaisseur de l’intelligence ", la capacité a proposer de multiples solutions et non pas simplement la réponse qui semble la meilleure a priori. Cette approche est remarquablement proche d’une des définitions de l’intelligence proposée par Marc Jeanson dans les échanges du groupe Intelligence Collective : " L'intelligence c'est la faculté qu'a une entité à maintenir un équilibre dynamique entre "intelligence" et "bêtise" ".
Que nous dit cette approche de la bêtise dans le domaine de l’intelligence collective ? On pourrait définir de même l’idiotie comme " agir en deçà de l’intelligence de son espèce " (l’idiot du village). Mais surtout, la diversité dans un groupe permet de mixer des solutions qui peuvent sembler bêtes pour certains et intelligentes pour d’autres. Cette capacité à imaginer de nombreuses facettes d’un même problème est une des grandes forces de l’intelligence collective face à l’intelligence individuelle.
Et si la force de l’intelligence collective pour un groupe était sa capacité à être bête ?
Mots clés : coopération, internet - source : http://ic.fing.org/news/27.shtml
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